samedi 28 juin 2025

 

Voile ou Kippa ? L’insupportable équivalence

Par Ariel DAHAN, Avocat



Le discours politique sur le voile porté par les femmes musulmanes, quel que soit sa taille ou son aspect, est tellement mal compris par les politiciens et les techniciens de la parole publique que certains ânes s’essaient à des équivalences avec la kippa portée par les juifs. Cette équivalence est insupportable et demande qu’on rétablisse une vérité technique.

 

Quelques Définitions :

La kippa est un bout de tissu (qui n’a rien de sacré) qui sert à couvrir la tête d’un homme juif lorsqu’il prie ou qu’il prononce le nom de D.ieu. Chez les juifs religieux, cette obligation de se couvrir la tête a été étendue à l’idée de conserver la tête couverte toute la journée, pour le cas où une prière se glisserait dans la réflexion… On n’est jamais à l’abri d’un moment de prière… D… merci ! Elle est parfois remplacée par un couvre-chef du plus bel effet, casquette des Lakers, Shtreimel viennois ou simplement chapeau en feutre, tout est bon du moment que l’occiput est couvert.

 

Dans cette acception, la kippa (ou le chapeau) n’est pas – et n’a jamais été - un élément d’identification ni d’exclusion sociale mais un élément de prière. Le couvre-chef n’est utilisé que dans un moment de prière. Jamais dans un moment de socialisation avec autrui. Et s’il reste sur la tête, c’est uniquement par (mauvaise) habitude, puisque la politesse demande qu’on se découvre pour saluer ou en entrant dans des lieux fermés.

Enfin, la kippa (ou son extension casquette, chapeau, shtreimel fourré à poils longs…) est un vêtement porté exclusivement par les hommes. Il n’est imposé qu’aux hommes. C’est d’ailleurs le seul marqueur sociologique de la religion juive : la contrainte religieuse de la prière (et donc la kippa) n’est imposée qu’aux hommes ! Les femmes juives en sont exemptes. Exemptes mais pas exclues. Elles ont toujours le droit de se soumettre volontairement aux règles imposées aux hommes. Ce n’est pas une obligation religieuse pour elles.

 

La kippa est donc un vêtement de prière, au même titre que le Tallith (châle de prière comportant 4 franges dont les nœuds ont une symbolique religieuse dans lequel le prieur s’enroule) qui se porte pendant les trois prières quotidiennes. Au même titre que les Tephilins, phylactères de cuir qu’on enroule autour du bras gauche et du front, et qui ne se portent que pour la prière du matin… Ce n’est pas un vêtement porté dans la société. Ce n’est pas un marqueur identitaire de séparation d’avec les non-juifs. Rien n’interdit un non-juif de porter ces objets. Il sera simplement hors de propos.

 

Vêtement marqueur discriminant : Au rebours, les juifs ont toujours été astreints de porter un habit spécifique en terre non-juive. L’histoire recense une longue liste de ces contraintes vestimentaires :[1]

  • -          A Athènes au VIè siècle avant l’ère chrétienne, première obligation d’être vêtu différemment des citoyens athéniens, dans les années 3200 du calendrier hébreu...
  • -          en Égypte en 201 avant l’ère chrétienne un Edit de Ptolémé IV Philopator imposait de graver une feuille de vigne au fer rouge sur le front des juifs qui rejetaient les dieux égyptiens en hommage à Bacchus,
  • -          En 616 de l’ère chrétienne, un édit de l’empereur Heraclius impose aux juifs de porter un vêtement différent ;
  • -          En terre musulmane dès 634 le Pacte d’Omar (12 ans après l’Hégire), impose une dissociation vestimentaire des juifs et des musulmans dont les termes vont varier selon les pays, entre une ceinture jaune, un chapeau jaune, un insigne jaune, des cloches à la ceinture (en Égypte en 1005)
  • -          En 1165 au Maroc les juifs doivent porter un manteau de laine bleu couvrant tout le corps, et un châle jaune. En Algérie c’est la ceinture « Zonnar »[2]
  • -          Le concile de Latran (1215) impose aux juifs un vêtement distinctif. Le vêtement imposé aux juifs portait sur le jaune (ceinture jaune, capuchon pointu jaune…) et comportait une rouelle.
  • -          A partir du XVIe siècle à Prague, déjà l’étoile jaune. A Venise le chapeau était obligatoire.
  • -          En Tunisie, les juifs doivent porter une chechia noire, les différenciant des musulmans qui avaient droit à la chechia rouge. Puis un bey imposa une calotte blanche.
  • -          En 1918 au Maroc les juifs avaient interdiction de porter des chaussures en dehors du Mellah (quartier juif). Ils devaient marcher pieds nus.
  • -          Entre 1939 et 1945 les lois nazies ont imposé l’étoile juive et le tatouage des déportés.
  • -          Depuis 1948 les juifs ont été chassés de la plupart des pays musulmans.

 

Par réaction à ces obligations vestimentaires imposées par les sociétés non-juives, et par effet de mode, la kippa est devenue un marqueur identitaire chez certains jeunes juifs, non pas parce qu’ils font partie des groupes ultrareligieux, mais parce qu’ils se revendiquent publiquement juifs, comme un moyen de protection contre des situations de haine cachée. Si pour vivre heureux il est recommandé de vivre caché, il est parfois préférable d’être reconnu publiquement. La kippa dans l’espace public est devenu ce marqueur-là : Dire qu’on est juif, informer son interlocuteur, pour éviter des propos inadaptés involontaires. La transcription civile de l’injonction religieuse faite aux juifs au quotidien : Sache devant Qui tu te tiens ! Injonction imposant au Juif d’avoir conscience du fait qu’il s’adresse à D.ieu lorsqu’il prie.[3]

 

On est bien loin, avec ce petit bout de tissus (la kippa) de la symbolique du voile imposé aux femmes musulmanes et revendiqué comme marqueur identitaire. La Kippa est un vêtement de prière. Le voile musulman est un vêtement identitaire, dont la couleur signe l’appartenance religieuse : bleu pour les chrétiens, jaune pour les juifs, autres couleurs pour les musulmans.

 

Le voile porté par les femmes musulmanes, qu’il soit porté volontairement ou qu’il leur soit imposé, et quelle que soit sa longueur, est un vêtement identitaire politique.

-          Il n’est pas un vêtement de prière. Ce vêtement n’est pas porté lors de la liturgie religieuse musulmane. Il est porté dans la cité, au contact avec les autres. Il s’agit d’un vêtement de présentation.

-          Il n’est pas un vêtement protecteur

-          C’est un vêtement identitaire. La nature plus ou moins couvrante de ce vêtement signe l’identité religieuse et l’obédience religieuse de la femme qui le porte.

-          C’est un vêtement politique. Il marque la différence entre l’homme (libre) et la femme (esclave sans droits appartenant à son époux).

-          C’est un vêtement imposé par la classe dirigeante (les hommes) à la classe faible (les femmes).

 

Dans l’histoire de l’humanité, les femmes -et certains hommes- ont toujours porté des voiles.

  • -          En Assyrie, entre 2400 et 1200 avant l’ère chrétienne les lois instaurent un vêtement distinctif selon le rang social ou l’état civil de la personne. : Noble, marié, femme, jeune-fille, esclave ou prostituée… : Les femmes mariées doivent se couvrir la tête, les filles d’hommes libres doivent être voilées. Les prostituées sont nue tête… le voile leur étant interdit !
  • -          Les hommes hébreux portent un voile de prière (le Talith). Les femmes hébreu n’ont pas cette contrainte religieuse. Mais elles vivent dans des pays où les femmes doivent évoluer voilées. A Athènes fait comme les Athéniens. A Babylone comme les Babyloniens. A Crète comme les Crétois (les femmes crétoises allaient sein nu à l'époque de l'empire Minoen.[4]
  • -          Dans l’antiquité Grecque, les peintures présentent des femmes au visage voilé[5][6] Mais à cette période il semble que même les hommes se voilaient parfois en Grèce… Et le voile serait associé aux femmes mariées exclusivement.
  • -          La Rome antique évoque le statut de nubilité, capacité à prendre le voile et à se marier, la femme mariée portant un voile.
  • -          Dans le monde civil européen et occidental les femmes sortent dans le monde la tête couverte, d’un chapeau, d’une voilette ou d’un voile, selon l’usage du temps. Cet usage s’étant perdu à partir des années 60 / 70 et de la révolution sexuelle.
  • -          Dans le monde chrétien le voile monastique est un habit clérical qui marque l’appartenance de son porteur ou de sa porteuse à un ordre religieux. Cet habit le sort du monde civil.

 

Le voile monastique des femmes qui rejoignent les ordres est également un voile imposé. Mais il ne concerne pas « toutes les femmes ». Il ne concerne que les femmes qui ont fait le choix de la vie recluse dans un ordre monastique ou abbatial. Elles ont fait le choix de « sortir du siècle », et revêtent un habit qui exprime leur volonté de s’exclure du temps quotidien. Il s’agit dans ce cas d’un uniforme. L’habit monastique s’impose autant aux femmes qu’aux hommes, et change selon l’ordre monastique. Il ne concerne pas que les chrétiens, mais toutes les religions qui instaurent des ordres monastiques. Dans cette configuration, le voile monastique (ou l’habit monastique en général) est un vêtement de prière et un vêtement social, en ce qu’il distingue le moine – hors du siècle – du prêtre séculaire, porteur le plus souvent de vêtements neutres,  ou du profane.

 

Le voile des hommes touaregs, le Litham targui, voilà encore une autre divergence culturelle qui rappelle celle de la kippa : Pour les peuples Touaregs (Targuis), le port du Litham, voile recouvrant la tête et le visage des hommes, ne s’impose qu’aux hommes. Les femmes vont tête nue. La situation sociale y est donc totalement renversée. Les hommes se couvrent volontairement de ce voile pour des raisons de « pureté », d’hygiène et de relations sociales. Il est imposé par les hommes aux hommes dès la puberté des garçons. Dans ce concept, le voile n’est pas un instrument « religieux » en ce sens qu’il n’est pas requis pour la prière. Il est un habit « nécessaire » pour garantir la pureté du targui confronté au contact des inconnus. Il dissimule les émotions et l’identité. Il protège le porteur de toute « contamination » ou « pollution » venant de l’extérieur du groupe.[7] [8]

 

Ainsi, le voile féminin est donc soit un élément de mode (couvre-chef) soit un élément identitaire social (les femmes de petite vertu n’en portant pas) soit un élément d’identification politique. Quel que soit son statut, il n’est pas et n’a jamais été un habit de prière, contrairement à la kippa.

Et contrairement à la kippa, il est imposé aux femmes, par la classe dirigeante (les hommes), alors que la kippa est auto-imposées aux hommes par eux-mêmes.

 

Enfin la Kippa n’est pas un vêtement social. C’est un vêtement de prière, que le porteur ne porte que pour prier, alors que le voile est un vêtement social, imposé aux femmes pour sortir dans la vie civile. C’est donc un signe distinctif.

 

Preuve que ce n’est pas un marqueur social identitaire mais un habit religieux, les femmes qui prient se couvrent également la tête, et les femmes rabbin portent la kippa.

 

Raison pour laquelle assimiler le voile islamique et la kippa juive est un contresens.

 

C’est aussi faux que d’assimiler l’excision des femmes à la circoncision des garçons. D’un côté l’excision est un moyen de domination de la classe dominante (les hommes) sur la classe dominée (les femmes). De l’autre la circoncision est un moyen d’intégration d’un homme dans la classe dominante. Aucune domination n’apparaît dans ce geste, si ce n’est la domination religieuse, la circoncision étant strictement le sacrifice fait par l’homme (mâle) à Dieu en souvenir du sacrifice d’Abraham ou d’Isaac (selon le côté du sacrifice où l’on se situe, sacrificateur ou sacrifié).

 

Il faut parfois remettre l’église au milieu du village !



[2] Le Zonnar – Source L’Encyclopédie, Diderot et D’Alembert, 1er éd, 1751 (Tome 17, p. 743)., citation D’Herbelot, Bibuioth. Orien. DJ) https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Encyclop%C3%A9die/1re_%C3%A9dition/ZONNAR

[3] Sache devant Qui tu te tiens ! Parasha Tetsavvé, livre Shemot (Exode) chapitre 27:20

[5] Thèse Voiler son visage en Grèce ancienne : étude d’iconographie féminine, Nathalie Martin, Thèse de doctorat d’archéologie, Aix Marselle, 22-02-2013

[6] Voile et danse (?) chez les déesses grecques, Marie-Hélène Delavaud-Roux In : Valérie HUET et Florence GHERCHANOC. De la théâtralité des corps au corps des dieux dans l'Antiquité, CRBC, Brest, p. 107-124, 2014. <hal-01160928>

[7] The tuareg veil (Le voile chez les Touareg) – Dr Jeremy H KEENAN -Revue des mondes musulmans et de la Méditerranéen, Année 1974  17  pp. 107-118 - source Persée https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1974_num_17_1_1266

[8] Le Voile des Touaregs Etude anthropologique et sociologique – Youssef Ben Moussa (non-daté) - La Culture Populaire #41 –extrait https://folkculturebh.org/fr/index.php?issue=15&page=article&id=574

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