Petit test de causalité : Comment jugerez-vous la situation?
En des temps pas si lointains dans une contrée semblable à la nôtre, une femme était mariée à un homme très jaloux à la barbe rousse, qui menaçait de la tuer si elle le trompait. (C’était permis alors…).
Ils habitaient sur une île sur un fleuve au courant impétueux. Personne ne survivait à un bain dans le fleuve. Pour se rendre à terre il fallait emprunter un bac, payant (2 sous) ou le pont, gratuit.
Sur le pont, un fou meurtrier sévissait un jour sur deux à la tombée de la nuit, heure où le garde du pont s’en va. Prendre le pont c’était s’exposer à un risque de mourir de 50%.
Cette femme avait un amant, de l’autre côté du fleuve. (D’autres l’ont fait).
Un jour que son mari était parti pour la journée, elle voulut rencontrer son amant. Mais elle n’avait que 3 sous sur elle. Elle ne pourrait pas revenir avec le bac. Elle alla quémander un sou à sa sœur, qui le lui refusa (elle la jalousait depuis le début et aurait bien pris sa place auprès de son époux).
Elle implora sa bonne de lui prêter un sou, mais sa bonne n’avait pas été payée, outre qu’elle refusait de désobéir à son maître (c’était une autre époque).
Elle décida donc qu’elle reviendrait par le pont, en plein jour. Il suffirait de revenir plus tôt. Elle prit le bac, paya ses 2 sous, et passa une folle journée avec son amant. Puis vint l’apaisement des ébats. Elle se souvint qu’elle devait rentrer chez elle. Horreur et stupéfaction ! Le jour fuyait ergo la nuit commençait à tomber. Elle ne pouvait plus traverser le pont sans risque. Elle devrait prendre le bac mais n’avait plus assez d’argent pour traverser !
Elle supplia son amant de lui avancer cette somme pour ne pas risquer de prendre le pont, ou risquer d’être tuée par son mari. Refus net de son amant : Elle n’avait qu’à rester chez lui, et avouer à son mari son amour adultérin, ou prendre le pont et courir le risque du tueur maniaque.
Voyant le jour tomber et craignant que son mari ne découvre ses frasques el la tue, elle alla voir le passeur, lui demandant crédit de 1 sou et promettant de lui rembourser avec intérêts. Làs ! le passeur est fonctionnaire. Il ne fait pas crédit. Pas d’argent ? Pas de bac. Qu’elle prenne le pont !
Elle hésita à traverser à la nage, mais le courant impétueux et la nuit tombant rendait inconcevable cette traversée, si tant est qu’elle eu su nager, ce qu’elle ignorait.
Ne lui restait donc que le pont, auquel elle se résolu en définitive. Arrivant sur le pont la nuit était bien avancée. Elle rencontra le maniaque fou du pont, qui l’attrapa sauvagement, la souleva et la jeta du pont dans le fleuve impétueux. On retrouva son corps inerte dans la boucle du fleuve en contrebas.
Une enquête s’ouvrit.
Le médecin légiste conclut à une mort par cause naturelle (noyade) probablement induite par un geste criminel.
On arrêta le maniaque du pont et le passa à la question. Après moultes chocs bien processuels il reconnut les faits, expliquant qu’il ne pouvait pas s’en empêcher, et qu’elle savait bien ce qu’elle voulait, l’autre s….e.
Il fut à nouveau passé à tabac, mis aux fers et jeté dans un cul de basse fosse dont il ne sortirait que pour être jugé avant d’être pendu, écartelé et noyé comme le prévoyait la loi d’alors (c’était le bon temps !).
Le Sénéchal réunit tout le monde, leur demandant ce qu’ils savaient.
Le mari dit qu’il avait expliqué à sa femme les risques du pont, qu’il lui avait interdit de prendre un amant et qu’il l’aurait tuée de ses propres mains s’il avait été au courant de ses actes. Elle n’avait donc eu que ce qu’elle méritait. Il n’avait plus qu’à épouser sa sœur.
La sœur fit l’éplorée. Si seulement son idiot de père avait accepté de leur apprendre à nager ! In petto elle prépara son mariage avec son beau-frère.
L’amant expliqua qu’il voulait que la femme avoue leur amour fou et quitte son dangereux mari. C’est pourquoi il ne lui avait pas prêté l’argent nécessaire au bac.
Le passeur expliqua qu’il n’avait pas le droit de faire crédit, son statut de passeur d’eau le lui interdisant strictement. Si ça pose problème à quelqu’un y’a qu’à changer la loi !
La femme ne pouvait plus rien dire. Elle aurait pourtant expliqué qu’elle s’est sentie contrainte dans ses choix et qu’elle n’avait aucune option sécuritaire.
L’association féministe locale (si !) commença à manifester pour réclamer des ponts « genrés », réservés aux femmes, et des cours de natation, imputant la mort de celle-ci au patriarcat, aux cochons d’hommes qui ne pensent que sous la ceinture et aux pères qui refusent d’apprendre aux femmes à nager.
Les médias s’emparèrent du dossier.
« Femmes et Société » fit sa une sur la société patriarcale et ces maris qui tuent leurs épouses.
« Foi et joie » fit son papier sur l’interdiction divine du 6ème commandement (tu ne convoitera pas la femme de ton prochain, ni son âne) et le mal intrinsèque de l’adultère.
« Le Soir » appela à lyncher le passeur d’eau, pour non-assistance à personne en péril. Après tout, un fonctionnaire ne doit-il pas protéger les citoyens ?
« Le Petit Travailleur Tranquille » défendit corps et âme le passeur d’eau. Le statut interdit de faire crédit. Point Barre !
« Chasse Pêche et Traditions » présenta tous les articles d’auto-défense utilisables par une femme, et des cours de formation destinées aux femmes qui passent le pont.
« Sports aquatiques » publia une liste des kayaks gonflables à petit prix pour traverser le fleuve impétueux.
« Un Pont Trop Loin » expliqua que le pont était hors normes ses garde-corps étant notablement trop bas, de 10 cm, et que nombreux avaient alerté l’Etat sur cette situation. Combien faudrait-il de morts avant qu’on réhausse les garde-corps ?
« Sociologie » s’interrogea sur les dérives d’une société où les femmes sont contraintes de tromper leurs maris et de se mettre en danger la nuit. L’article concluait aux mérites de l’Union Libre, et appelait à la création de lupanars publics à coût réduit, pour répondre au besoin social de l’adultère.
« Psychologie Today » constata que la femme mariée est soumise à la violence du mâle et que le geste de cette femme était un passage à l’acte suicidaire qui devait être interprété comme un appel au secours.
« l’International Revue of Psychiatrie » fit un numéro spécial sur la schizophrénie, la difficulté de dépister et soigner les maladies mentales et l’indigence de la psychiatrie dans notre société moderne.
« Philosophie Magazine » expliquait que la société induisait une relation de violence patrimoniale entre les individus et que les femmes étaient protégées contre leur grès, ce qui occasionnait des difficultés de convergence de vue entre le mari surprotecteur et possessif, la femme qui aspire à la liberté, l’amant qui aspire à la possession et le maniaque qui n’aspire à que dalle :
Leibnitz tint une conférence sur la causalité, prenant en exemple cette femme adultère et expliquant que si elle et son amant avaient eu une sexualité plus débridée leurs ébats se seraient arrêtés plus tôt et elle eut pu traverser le pont de jour ce qui eut évité qu’elle mourût !
Olympes de Gouge tint le même jour une conférence bien plus houleuse publiant sa déclaration des droits de la femme ; dans laquelle elle ajouta le droit à l’adultère.
Balzac en fit un roman, trouvant son titre dans la couleur rousse de la barbe du mari cocu.
Hugo en fit une œuvre complète sur la misère sociale des travailleuses du sexe…
Le Sénéchal convoqua tout ce monde dans le même procès devant vous.
Vous êtes juges.
- Désignez le ou les responsable(s) de ce fait divers ?
- Cherchez des complices éventuels.
- Qualifiez les faits pénalement
- Exprimez les responsabilités en termes de causalité, plus ou moins proche.